L’inspection, un équilibre entre technologie et esprit critique [Témoignage]

Par Bruno Petta

Le 18/04/2019

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Témoignage de Bruno Petta, responsable pédagogique de la licence ISI (Inspection des sites industriels) à l’institut universitaire de technologie du Havre :

« Quand j’ai commencé à m’intéresser très sérieusement au métier d’inspecteur en reprenant la responsabilité de la licence ISI (Inspection des Sites Industriels) en 2013, j’ai été très frappé par la « modernité » de celui-ci.

On trouve dès l’antiquité des méthodes pour tester l’intégrité des réservoirs comme frotter du noir de charbon sur les poteries pour en révéler les fines fissures ; technique reprise au début des chemins de fer avec du blanc de craie saupoudrée sur les roues métalliques saturées d’huile. Mais on le voit bien, ce ressuage rustique restait à la surface des choses.

Dès la fin du 19ème siècle, grâce aux découvertes sur les champs magnétiques, les rayons et ultra-sons, on entrait dans une autre ère qui permettait de voir « sous » la surface, au plus profond de la matière. On ne fait plus confiance à l’œil. On s’appuie sur l’invisible des rayons et des ondes.

Ceci a un impact fort sur l’inspecteur et son métier. Il ne voit plus, la machine voit pour lui : l’inspecteur doit avoir confiance dans la technologie mais dans le même temps, doit remettre en cause des limites de celle-ci. Quand par malheur, un accident survient, il doit s’interroger sur l’inadéquation du matériel de contrôle, des techniques, et sur l’usage approprié ou non que l’on en a fait. Au cœur de la sécurité, il y a la remise en question des techniques et de la technologie : une démarche paradoxale et parfois difficile. Il faut alors chercher, apprendre, s’approprier et se remettre en cause.

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En tant que responsable et enseignant, mon premier objectif pour aider les futurs inspecteurs n’a pas été de leur parler de savoir-faire et de technologie, bien au contraire. Mon premier objectif a été de leur montrer l’immense responsabilité qu’est la leur, l’importance de la qualité de leur travail pour garantir notre sécurité, dans les usines et autour des usines. Ils doivent être fiers de leur mission. Paraphrasant Churchill, je leur dis que « jamais un si grand nombre n’a eu une dette si grande envers un si petit nombre ».

Mais pourquoi cette approche, me direz-vous ? Ne sommes-nous pas censés travailler à simplement transmettre du savoir, des technologies ? Je ne crois pas. Pour bien apprendre, être curieux, se remettre en cause, il faut d’abord et avant tout avoir confiance en soi, et savoir pourquoi on travaille, pour qui on travaille ; il faut être fier de ce que l’on fait et être reconnu. Il faut être encouragé à faire des erreurs dans la salle de classe pour mieux progresser. Il faut pouvoir s’appuyer sur les autres quand on  remet tout en cause.

La deuxième partie de mon travail pouvait commencer. Qui était le mieux à même de leur transmettre les connaissances et le goût d’apprendre ? Ce sont les passionnés, les spécialistes,  qui ont à cœur, à un certain moment de leur vie professionnelle, de transmettre à la jeune génération leurs savoirs et leurs expériences. Qu’ils travaillent pour des organismes ou des industries, ces personnes n’ont jamais cessé de se former et d’adapter leurs pratiques. La passion est là, devant les apprentis-inspecteurs : la passion rassure, motive, et encourage à la curiosité.

C’est pour cela que 70% des enseignements dans la licence ISI sont dispensés par des professionnels. Les bons spécialistes sont ceux qui savent mais n’ont pas de certitudes. Ils leur parlent du terrain, des progrès accomplis et des échecs aussi.

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Très régulièrement, le comité de pilotage de la licence introduit du nouveau dans le programme, à la suite d’une nouvelle réglementation ou bien de l’utilisation d’une nouvelle technologie disponible. L’apprenti sait qu’on l’emmène à la pointe du savoir-faire. Mais comme il/elle est un « digital native », l’outil informatique ne l’effraie pas, à condition qu’il reste acteur et que l’outil ne l’éloigne pas de la relation humaine. Il est vrai que le risque est accru avec les interfaces écrans omniprésentes. Et si l’inspecteur se transforme en un simple collecteur de données sans pouvoir sur le traitement de l’information, le risque devient palpable. C’est une partie de l’enjeu du traitement du « big data ». Quelle sera la part laissée à l’intelligence humaine pour prendre des décisions ? L’inspecteur se sentira-t-il responsabilisé ou instrumentalisé par la machine? Faudra-t-il alors inventer une nouvelle formation pour les inspecteurs pour le rendre à nouveau, acteur avec de nouvelles fonctions?

Depuis toujours, l’outil (numérique ou pas) peut libérer ou aliéner. Il est important de replacer les motivations et la valorisation des hommes et les femmes au cœur de notre projet de formation pour qu’ils puissent continuer d’aimer leur métier, de découvrir et progresser.

Il faudra donc garder à l’esprit comment l’individu va s’approprier l’outil ou être dominé par lui. »

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